François LACAN, dit Patchi, n’est plus. Il nous a quitté discrètement, comme il a vécu et sans se douter du vide qu’il allait laisser. Il s’est éteint à son domicile d'Anglet, près de Biarritz, le 24 janvier 2019, à deux semaines de ses 94 ans.


Avec lui disparaît tout un pan de la mémoire artistique et privée de Luis Mariano. Il partagea avec beaucoup de dévouement la gloire de ce géant de la scène. Patchi fut, par le passé, l’homme de confiance, la « mémoire vivante » du grand artiste et restera à jamais une figure incontournable de l’univers du ténor.


Il y a une dizaine d’années, j’ai eu la chance de rencontrer Patchi et son épouse, Françoise, à Arcangues. J’ai réalisé ce jour-là un de mes rêves, celui d’être accueilli dans la propriété « Mariano Ko Etchéa », la demeure de mon idole. Ils ont très gentiment partagé avec moi leurs souvenirs dans ce cadre exceptionnel de quiétude, de beauté et de sérénité où semblait planer encore l’ombre du chanteur. Ce fut en tout cas pour moi un pur moment de bonheur.


Je ne peux rester indifférent à la disparition de Patchi et si un mot devait le qualifier, ce serait «fraternel». Un homme profondément authentique, attachant, une force de la nature qui dissimulait un cœur d’or. Pour sa simplicité, sa gentillesse et son dévouement, je tiens ici, avec fierté et reconnaissance, saluer sa mémoire.


Il laisse un vide immense, il nous manquera. Mais Patchi n’a pas vécu et n’est pas mort en vain, car le souvenir dure plus longtemps que la réalité présente et il reste comme un souffle, une présence et une trace indélébile, liée à celle de Luis Mariano et qui restera gravée à jamais dans la mémoire collective.


Une cérémonie religieuse a eu lieu le vendredi 1er février 2019, en l’église d’Arcangues. J'adresse toutes mes sincères condoléances à Françoise LACAN, son épouse et à Mariano, Maïténa et Nicolas, ses enfants avec l’expression de ma profonde sympathie.


Christian CADOPPI.

Une enfance difficile et malheureuse

« J’ai orthographié Patchi avec “ chi ” et non avec le “ x ” habituel des Basques,
même si je suis basque de cœur »
Patchi

 

Patchi Lacan — de son vrai nom François — est né à Paris dans 10e arrondissement le 8 février 1925. Issu d’un milieu modeste, son père — Casimir Lacan — était cordonnier et sa mère — Louise Martinet — était femme de ménage. Ils vivaient à Paris et possédaient une humble maisonnette à Villeparisis, située à un peu plus de 20 km au nord-est de Paris.

 

François Lacan, 1925 (Photo collection privée)

 

Le petit François Lacan allait à l’école dans le 18e arrondissement à Paris, rue Camille Flammarion, non loin du domicile d’un oncle et de deux tantes. Patchi se souvient très bien d’avoir eu des parents merveilleux. Mais, dès l’âge de 8 ans, le destin s’acharne déjà sur le jeune François qui voit son père disparaître. La nouvelle de cette mort prématurée choquera terriblement l’enfant. Deux ans plus tard, le malheur frappe de nouveau le petit garçon. C’est une nouvelle tragédie. On viendra le chercher à l’école pour le conduire à l’hôpital Bichat, au chevet de sa mère qui était mourante.

 

« On ne se console jamais de la perte de sa mère ; aujourd’hui j’y pense encore »
Patchi

L’inguérissable amertume de cette période difficile et douloureuse tourmente le gamin qui se retrouve maintenant orphelin des deux parents dans sa dixième année seulement. Nous sommes en 1935. François Lacan sera emmené dans un foyer de l’Assistance publique. Cruellement affligé de son sort, et ne se nourrissant plus, il tentera de s’échapper plusieurs fois. Il est alors aussitôt envoyé à Bayonne et confié à une communauté de sœurs dans un hôpital, puis sera placé, deux mois après, dans une ferme à Arcangues. Dès son plus jeune âge, il connut l’âpre existence d’un orphelin sans ressource et avec en prime une seconde guerre mondiale qui se profilait à l’horizon 4 ans plus tard.

« À Arcangues, je vivais dans une authentique et rustique ferme. Le sol de la cuisine était en terre battue. On n’avait ni eau, ni électricité ; juste une lampe pigeon au milieu de la table et une autre dans l’écurie, à côté de la bassine où l’on devait verser le lait [...] Au lieu d’aller à l’école, j’allais garder les vaches. Avec mes sabots en bois garnis de paille, j’allais jusqu’au milieu du bois de Saint-Pée à pied couper les fougères, je fauchais le blé à la faux, j’étais un paysan comme tout le monde ! [...] Pour faire la soupe, on allait chercher l’eau à 2 km de la ferme. Pour l’eau de la vaisselle et pour celle des vaches, il y avait une sorte de petite source devant la maison. »
                                                                                     Patchi

La ferme, la guerre, l’armée, Javel La Croix...

Dans la ferme d’Arcangues, où le futur Patchi sera élevé, il est très vite considéré comme le fils de la maison, mais la vie à la ferme sera rude.

 
En août 1936, François aperçoit de la ferme les fumées de la guerre civile espagnole à Irún. Il était loin de se douter qu’au même moment s’exilait une famille qui allait changer plus tard son destin. Lorsque sonnèrent les 14 ans de François, l’Assistance publique arrêta de verser les pensions à ses parents adoptifs. Il restera tout de même au sein de cette famille et sera embauché comme garçon de ferme, fonction qu’il occupera jusqu’à l’âge de 19 ans.

 

Sous l’occupation, les Allemands réquisitionnèrent, de temps en temps, les paysans du coin de plus de 16 ans pour effectuer divers travaux, comme couper du bois ou ramasser de la paille. Patchi se souvient encore très bien de cette période et des Allemands qui les surveillaient le fusil à la main.

 

Août 1944, le Pays Basque est libéré. François à 19 ans et, ne voulant plus rester garçon de ferme, il décide de quitter sa famille d’adoption et de s’engager dans la Marine nationale. Il signera pour trois ans et sera affecté comme « commis aux vivres » au fort de Mers el-Kébir près d’Oran en Algérie, où il apprendra à conduire.

 

Sa jeunesse ? Une vie trépidante, éprouvante, perturbée et bourrée d’embûches. Une belle leçon, en somme, de courage et d’humilité.

 
1948, revenu à la vie civile, François retourne en France et monte à Paris à la recherche d’un travail.

 
Il s’installe dans un petit appartement près de la porte de Clignancourt, rue du Roi d’Alger dans le 18e arrondissement, et trouve un emploi de chauffeur-livreur dans un établissement de produits détersifs, chez Javel La Croix à Issy-les-Moulineaux.

 

Il transportait des caisses de javel qui parfois se perçaient et coulaient sur ses épaules et Patchi de se souvenir alors d’avoir toujours été bien « désinfecté » à l’époque ! Les premiers mois parisiens sont difficiles, il a peu d’argent et il ne fera qu’un seul repas par jour, un sandwich la plupart du temps.

 

Sa rencontre avec Luis Mariano


« J’étais ébloui de rencontrer un grand monsieur comme Mariano. Il était très simple et très gentil.

Tout le monde l’appelait Mariano, mais jamais Luis,
qui était son prénom d’artiste »
Patchi

Fin 1949, à partir de cette date, le destin de François Lacan va complètement basculer. Un jour il rencontre un ami basque espagnol qui était, en fait, un cousin éloigné d’une vedette très en vogue en France à l’époque ; un certain Luis Mariano. François connaissait de nom Luis Mariano ; il l’avait vu en grosses lettres sur des affiches, mais surtout il avait déjà entendu sa voix à la radio.


Dans la discussion, le hasard amena donc ce cousin à demander à François si un emploi de chauffeur de maître était susceptible de l’intéresser chez cet artiste. Fort intéressé par cette proposition, il se présentera chez Luis Mariano et deviendra bien vite le bras droit de ce dernier durant plus de vingt ans, jusqu’au drame du 14 juillet 1970.

 

C’est Mariano qui le surnomma « Patxi », diminutif basque de François et qui se prononce « Patchi ».

 

 

L’homme de confiance

« J’ai été tout de suite accepté par la famille Gonzalez. Dès le premier jour,
j’ai mangé avec eux, j’ai été considéré comme un fils. Avec Mariano, nous étions
plus que deux amis, nous étions deux frères ! Il m’avait demandé de le
tutoyer dès le début. Il m’a fait une confiance aveugle, toute sa vie »
Patchi

Luis Mariano éprouvait de l'enthousiasme et une confiance totale envers Patchi, qui devint très rapidement son indispensable homme à tout faire : chauffeur, secrétaire, régisseur et garde du corps. Il fut également, durant deux décennies, son confident et plus qu'un ami, son frère de cœur.


Le premier jour, Patchi fut très impressionné lorsqu'il fallut mettre en route la grosse et rutilante Cadillac de Mariano, car, jamais auparavant, il ne s'était retrouvé au volant d'une telle voiture. Il passait du camion de livraison à la voiture de maître qui, de surcroît, était américaine ! Ensuite, les choses sont venues peu à peu naturellement.

« Je n’ai jamais eu de contrat, ni salaire ; mais ni ma femme, ni mes enfants, ni moi

n’avons jamais manqué de rien, bien au contraire. Mariano nous aimait tellement qu’il nous

comblait de cadeaux à tout instant. »
Patchi

      Luis Mariano et Patchi (doc. de l'auteur)

 

Il ne quittait plus son patron, toujours disponible en permanence afin de parer à toute fâcheuse éventualité, régler des problèmes d’intendance qui pouvaient surgir, etc. Il cumule les fonctions. En affaires, il assistait à tous les entretiens ; il conserva même sur lui le portefeuille, papiers et carnet de chèques du chanteur, réglait ses factures, ses notes de restaurants ou bien encaissait l'argent pour lui.


Patchi veillera continuellement à la sécurité de Mariano, lui facilitant, entre autres, son départ après les représentations pour échapper à la meute déchaînée des admiratrices. Il est son chauffeur personnel, fait le coursier, apporte son aide aux travaux de secrétariat, devient occasionnellement Majordome ou caissier lors des Galas de province. Il suivait Mariano comme son ombre ; en tournées ou en voyages privés sur les deux principaux continents, l'Europe et l'Amérique. Il est avec lui à sa table, sur les routes et sur les mers. À l'hôtel, on le retrouve avec les valises à porter ou un fer à repasser à la main, il est aussi bien dans les réceptions que dans les coulisses ou sur les plateaux de tournage et il côtoiera les plus grandes stars du showbiz.


Mariano faisait en sorte que Patchi ait également un tout petit rôle de figurant dans ses films. Cela amusait beaucoup le ténor.

 

Patchi a toujours su, avec tact et efficacité, se rendre indispensable dans n'importe quels domaines et dans n'importe quelles situations. Il va sans dire que, dans l'entourage familial de Mariano, Patchi fera, sans le moindre doute, l'unanimité.


Et des mots comme sincérité, dévouement, courage, loyauté, fidélité, honnêteté ne suffiront pas à le qualifier.

 

         Luis Mariano et Patchi (doc. de l'auteur)

Patchi et Françoise

 

Françoise est une ravissante danseuse blonde d’origine bordelaise et qui faisait partie du corps de ballet du Théâtre du Châtelet en 1960 pour les besoins de l’opérette « Le Secret de Marco Polo ». C’est dans les coulisses du Châtelet que Patchi rencontra Françoise. Il tombera sous son charme et l’épousera le 20 mars 1964 à Bordeaux.

 


Ils eurent leur premier enfant le 13 avril 1965 : un beau petit garçon baptisé « Mariano », dont le diminutif est « Marianin » — qui signifie « petit Mariano » — et qui était le surnom que l’on donnait déjà à Luis Mariano enfant.

 

Ce petit garçon deviendra le fils adoptif de Luis Mariano et un de ses héritiers directs. En effet, le 23 octobre 1968, Mariano rédigea son testament, dans lequel il lègue la moitié de ses biens mobiliers et immobiliers à son fils adoptif, Mariano Lacan. Cet héritage devra être géré par son père naturel, Patchi Lacan, qui en aura l’usufruit jusqu’à la fin de ses jours.


Naîtra également deux ans plus tard, le 24 Août 1967, une jolie petite fille rousse du nom de « Maïténa » dont le diminutif sera « Maïté » et enfin, le 25 juin 1973, un charmant petit bonhomme prénommé « Nicolas ».

 

La disparition de Luis Mariano, une nouvelle et cruelle épreuve

« Nous avions tout perdu en perdant Mariano. Pour moi, j’avais l’impression de perdre mon père, mon frère, car Mariano était tout pour moi. »
Patchi

Luis Mariano, Marianin, Françoise et Patchi en 1967

 

À la mort de Mariano, Patchi ne sait plus où il en est. Il est complètement désemparé, abattu et accablé d’une immense peine qu’il tente difficilement de cacher.

 

L’épreuve est lourde et douloureuse. Elle est d’autant plus éprouvante, car non seulement il perd son frère de cœur, son ami, mais également son patron. Outre son cruel chagrin, cela devait, bien évidemment, lui poser aussitôt d’énormes problèmes financiers. En effet, l’argent ne rentrait plus et Mariano avait des employés dans la ferme agricole qu’il possédait à Arcangues. Et puis Patchi, lui-même un « employé », avait sa petite famille à faire vivre.


Certes, Patchi est l’usufruitier des legs de Mariano, mais le dossier de succession était bloqué. L’épreuve durera deux longues années, car, concernant l’ensemble des biens de Luis Mariano, les opérations, en matière de succession et d’héritage, s’avéraient longues et complexes.


Mais Patchi n’est pas homme à se laisser anéantir et il décide de « remonter les manches » ; il va redevenir fermier et exploiter seul la ferme et les terres de Mariano. Les journées de labeur sont longues, exténuantes et contraignantes. Il est harassé, mais déterminé.

« C’est le travail qui m’a sauvé la vie. Je n’ai jamais regardé les heures avec Mariano. Quand j’étais chez Javel La Croix, ou à l’armée, c’était la même chose. Et le travail, une nouvelle fois, m’a sauvé complètement après la mort de Mariano. On avait tout l’argent de bloqué, on n’avait vraiment pas un rond. Je me suis retrouvé juste avec les vaches quand j’ai pris la ferme, l’été de sa mort. [...] J’ai donc repris seul la ferme en main. Les premières années, j’ai vécu avec mon petit chèque que me rapportait le lait. On vivait ici, dans une maison extraordinaire, mais au-dessus de nos moyens. Après la mort de Mariano, je n’ai plus eu un seul dimanche de repos. Il y avait des amis qui nous invitaient à manger, mais avec la traite à faire, j’arrivais, souvent le repas était terminé ! »
                                                                                              Patchi

Le choix de Patchi fut très courageux, car, après la mort de Mariano, il reçut une alléchante proposition de la part des Canadiens. En effet, un imprésario québécois, qui connaissait bien Patchi, semblait déterminé à lui proposer au Canada une situation identique à celle qu’il avait avec Mariano. Patchi déclinera l’offre et se remettra au travail à la ferme.

L’héritier de tous les souvenirs

Depuis la mort de Mariano, et après avoir, très péniblement, surmonté son deuil et le poids des soucis qui suivirent, Patchi eut ensuite un héritage particulièrement lourd à porter. Celui d’entretenir le patrimoine de Luis Mariano. Parmi les hommages posthumes dédiés à Mariano, Patchi, héritier de tous les souvenirs du grand artiste, organisera, lui-même et très longtemps, de nombreuses expositions itinérantes à travers le Pays Basque, mais également à Paris et dans différentes régions de France. Les visiteurs eurent droit à admirer les costumes de scène et les objets personnels du chanteur, affiches, photographies, partitions, documents inédits, dessins et peintures ainsi que divers souvenirs représentant l’idole. Ces manifestations connurent des succès sans précédent.

 

Patchi aura toujours eu cette volonté inépuisable de rendre hommage à son grand ami. Il poursuivit longtemps encore sa mission en participant régulièrement à diverses expositions — comme  celles  de 

l’« Association Charles Bassompierre ». Il a cette extrême gentillesse de confier les œuvres hautes en couleur de Mariano. Par ses prêts généreux, il permet d’élargir l’horizon artistique du ténor en faisant découvrir au public une facette inattendue de l’artiste, c’est-à-dire le peintre et le dessinateur de talent qu’il restera.

 

Françoise (au centre) et Patchi (à droite) avec des amis au chalet d'Arcangues (années 90)

« Ce qui fut extraordinaire, dans la vie de Mariano, est sa rencontre avec Patchi. Nous, ses amis, nous amusions beaucoup de les voir toujours ensemble. Nous savions que, si nous rencontrions l’un, immanquablement nous ne tarderions pas à voir l’autre. Mais il faut bien dire que c’était immense pour Mariano de pouvoir s’appuyer sur un homme comme Patchi. Patchi est un “ bourreau de travail ”. Il s’occupe de tout. Et Mariano n’avait à se soucier d’aucun détail. Et c’est tout de même important pour un artiste d’avoir l’esprit libre de tous les détails matériels, surtout lorsqu’ils partaient en tournée ».

                                                                       Madame Bleustein-Blanchet

                                                                                       8 février 1971

Patchi et son ami José Crespo Larraza en 2017

 

Hommage à l’homme au grand cœur


Mon admiration, tout d’abord. Une totale admiration que je voue à cette abnégation extraordinaire dont Patchi fit preuve juste après la mort de Mariano devant tant d’épreuves.


Je me dois également de saluer le courage, le dévouement et la détermination d’avoir assumé la lourde charge de cet héritage. Enfin, je rends hommage à cet homme qui a eu le mérite et l’immense volonté de perpétuer par ses diverses et nombreuses actions le souvenir du grand ténor.


Patchi fut un bon vivant, spontané et doté d’une forte personnalité. Il a toujours eu son franc-parler et a toujours su, avec efficacité, défendre bec et ongles les intérêts de Luis Mariano. Sous des dehors quelquefois un peu rudes — mais si profondément authentique — il demeura un personnage attachant d’une gentillesse exemplaire ; une force de la nature qui, derrière cette façade puissante, dissimula un cœur d’or.

 

Françoise et Patchi

« Je dois tout à Mariano. Le peu que je suis intellectuellement, tout ce que j’ai,
je peux le dire, c’est à Mariano que je le dois. Avec Mariano, j’ai tout appris,
j’ai appris à aimer les Arts, les belles choses et la vie.
Oui, j’ai appris avec lui la vie... »
Patchi


Patchi et son disque d'or, juillet 2010